Être diplômé au Liban, le meilleur choix pour ne pas réussir … jusqu'à présent.

Selon la directrice Proche et Moyen Orient de la Banque mondiale,Anna Bjerde, plus on possède de diplômes et plus la probabilité d’être au chômage augmente dans la région. Cela pourrait paraitre paradoxal mais aussi révèle un certain nombre de faits d’autant plus qu’on peut facilement le ressentir aujourd’hui au Liban même.

Lire également

Si un tel constat peut se faire entendre, c’est qu’il existe un certain nombre de tares dans notre système éducationnel et aussi économique.

Au Liban, un pays où durant de nombreuses années, la réussite d’un foyer, de manière traditionnelle, était concrétisée par l’obtention d’une progéniture obtenant un enfant ingénieur, médecin et avocat. Résultat aujourd’hui, nous avons trop d’ingénieurs, trop d’avocats et trop de médecins, ce qui amène même des métiers manuels à mieux vivre que ces derniers. Nous formons, par exemple, plus de médecins aujourd’hui que d’infirmiers.

Nous avons déjà un problème d’orientation, avec un système qui laisse trop de liberté à trouver un métier.

Evidemment, face à cette concurrence accrue, les meilleurs finissent par quitter le pays, laissant, à quelques exceptions près, les moins bons.

Un nombre important d’université mais ce n’est pas la quantité qui compte mais la qualité que devrait compter

Le niveau de l’éducation au Liban baisse également parce qu’on trop d’universités – souvent privées – au lieu de se concentrer sur la qualité de l’enseignement. Le Pays des cèdres compte plus de 40 universités d’une qualité inégale, sans évoquer les autres scandales, comme l’achat de diplômes pour accéder à la fonction publique.

Même si l’AUB est considérée comme la 3ème meilleure université du Monde Arabe en terme de qualité d’enseignement et que 7 universités figurent dans les 1 000 premières universités, ce qui reste peu important pour un pays qui compte plus de 40 institutions d’études supérieures pour une population officiellement de 4 millions de personnes, dans le Monde selon certaines études, elles n’ont pas l’envergure internationale comme les universités américaines ou européennes: Par rapport à d’autres établissements étrangers, les universités locales peinent à recruter des étudiants étrangers. Seuls 22% à l’AUB, 18% au LAU ou 16% à l’USJ sont des étrangers et souvent ils sont en réalité des libanais enregistrés comme étrangers.

Notre structure en terme d’éducation aussi ne semble pas permettre d’accéder à de l’innovation, le Liban ne figurant qu’au 74ème rang mondial sur ce critère pour des raisons infrastructurelles notamment liées à l’absence d’investissements publics importants et cela aussi impacte la qualité de l’enseignement.

Paradoxalement, nombreux sont les étudiants libanais qui, eux, quittent le Liban pour poursuivre leurs spécialisation à l’étranger. Si la qualité de l’enseignement supérieure était réellement présente à ces niveaux, cela ne serait pas le cas.

30 000 nouveaux diplômés qui quittent chaque année le Liban

Et finalement, cela nous amène aussi au marché de l’emploi. Selon les dernières statistiques publiées à ce sujet, 30 000 nouveaux diplômés quittent chaque année le Liban. Le coût de leur formation bénéficie, par conséquent, à des économies étrangères et non à l’économie locale. Les rentrées financières vers le Liban qu’ils engendrent sont bien moins importants que le coût de les avoir vu partir et cela pour une simple raison: Ils ne trouvent pas de débouchés au Liban.

L’absence d’ascenseur social et de sources financières externe à la famille

En évoquant les débouchés, 90% des entreprises libanaises sont des entreprises à caractère familial et ces familles souhaitent généralement en garder le contrôle. Cela va des plus grandes entreprises locales comme les banques où l’on retrouve à divers niveaux de responsabilités les fils, les frères, les cousins plus ou moins éloignés, aux petites et moyennes entreprises. Ce modèle économique était vu jusqu’à présent comme un modèle de résilience et de stabilité.

Cela concerne aussi les professions libanaises avec l’attente que le fils succède au père.

Cependant, cela, aussi, nuit à l’ascenseur social et une personne externe à ces familles se retrouve souvent coincé et défavorisé dans son avancement professionnel.

Une solution serait d’ouvrir sa propre entreprise. Certes, mais cela réclame un accès à des sources de financement et il est très dur d’obtenir des prêts à des taux d’intérêts raisonnables et cela puisque les taux des obligations d’état libanais étaient élevés et considérées jusqu’à présent par les banques comme étant moins risqués.

Le choix terrible de rester ou de partir

Maintenant, imaginons donc un brillant jeune diplômé libanais ayant des idées innovatrices dans son domaine, ayant constaté combien à l’étranger on valorisait ses compétences en lui offrant des ponts en or alors qu’au Liban, on lui met des bâtons dans les roues, on l’exploite pour ne lui accorder que des miettes, on l’empêche de bien vivre à hauteur du pouvoir d’achat local, à exprimer son talent et sa créativité pour résoudre des problématiques qui sont souvent celles auxquels le Liban lui-même fait face. Choisira-t-il de rester ou de partir?

Certainement que non, et s’il le fait, choisira-t-il de toujours se taire? Certainement aussi que non. Cette rage intérieure accumulée depuis des années devrait un jour aussi bien s’exprimer.