Eurobonds: Le Liban en crise financière entre l'enclume et le marteau

Hier, l’annonce du défaut de paiement par le Premier Ministre sans plan et encore moins une annonce de la mise en oeuvre d’un prochain plan a envoyé un très mauvais signal interne et à l’étranger.

Déclarer un état de défaut de paiement était inéluctable depuis mai 2019 quand la Banque du Liban et non le Ministère des Finances avait honoré le paiement des obligations arrivées à terme à l’époque et c’est à cette date qu’il aurait dû d’ailleurs intervenir pour les mêmes raisons que celles évoquées, la nécessité de conserver les réserves monétaires nettes à l’achat des produits de première nécessite au bénéfice de la population.

Les plans, tout le monde les connait. Il n’y a rien de mystérieux. À court terme, il faut prioritiser le sauvetage de la population, lui permettre de se nourrir, de se soigner. Déclarer un défaut de paiement sur les eurobonds nous accorde un mois de répit au rythme actuel des dépenses à ce niveau-là, guère plus.

C’est à moyen et long terme, les plans sont également prévus, sinon à quoi aura servi par exemple de financer l’étude McKinsey qui était déjà une reprise de beaucoup de rapports rédigés en fin de compte depuis 20 ans par des départements de recherche économique notamment locaux. Il s’agit de réformes structurelles politiques pour mettre fin aux détournements de fonds locaux, via l’activation des structures de l’état qui a été affaibli. Il s’agit également de changer notre tissu économique et de passer à la production de richesses au lieu d’être destructive. Il s’agit enfin de réformes monétaires et du système financier.

Ne prenons pas la peine d’évoquer même le plan CEDRE qui constituait en soit plutôt un catalogue de projets à mener en raison de l’absence d’études d’impact sociales et économiques. On comprend mieux aujourd’hui pourquoi cette absence, en rapport avec le déni d’une récession économique début 2018 et l’augmentation déjà du nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté dès lors.

Les détails de ces réformes sont également connus et il serait fastidieux de les décrire. Mais un point sur lequel il serait intéressant de revenir est sur celui de la production d’électricité publique. Chaque délégation internationale de passage au Liban depuis 2 ans évoquait ce dossier précis, FMI, Banque Mondiale, etc.. Ils ont même proposé de prendre en charge les appels d’offre pour la construction de nouvelles centrales électrique, de les faire construire en BOT, de les faire opérer à des conditions très avantageuses pour le Liban. L’une des finalités de cette proposition était, outre le fait de résoudre le problème de pénurie d’électricité, d’avoir plus de transparence dans le processus d’appel d’offre et de réduire les coûts pour les finances de l’état comme cela a déjà été fait dans d’autres pays comme en Ukraine où la facture de fourniture du gaz nécessaire pour que la population puisse se chauffer a diminué de 15 milliards de dollars, une somme pas si anodine. Déjà la phase d’appel d’offre a été rejetée par un certain homme politique dont le frère, au Sud Liban, est très impliqué dans le business des générateurs de quartier et qui exigeait donc des compensations.

Il est également tout aussi étonnant que sur le plan structurel de notre économie, aucune fusion, liquidation à part celle de la Jamal Trust Bank en raison des sanctions américaines imposées en début de l’été et non en raison de la crise économique elle-même, ou encore faillite n’a eu lieu alors qu’il s’agit de choses qu’on pourrait attendre depuis quelques temps suite aux difficultés des banques libanaises qui ont imposé un contrôle des capitaux, à faire face à l’augmentation de leurs fonds propres. Certaines ont beaucoup de mal à y procéder et comptaient justement sur le paiement de ces eurobonds pour y procéder.

En réalité, on assiste et on constate plutôt une résistance au changement et aux réformes qui font devoir être imposées et qui sont nécessaires à notre pays sur le plan politique, économique ou monétaire, 3 plans dans lesquels la population n’a plus confiance

Sur le plan politique, un changement de leadership est nécessaire. Si on écarte les autres facteurs, comme la corruption, il est nécessaire aussi de reconnaitre que la classe politique qui nous a mené à cette situation est finalement mal placée pour mener ces réformes.

Cela est également vrai sur le plan économique, avec les banques et leurs dirigeants, ou encore sur le plan monétaire avec la fameuse politique du Peg entre livre libanaise et dollar qui n’est plus qu’un nombre qui n’est pas respecté.

Une économie a horreur du vide et de l’inconnu, du moins officiellement puisque ces personnes bien informées ne doutent pas elles-même de ce qui leur adviendra.

L'entrée principale de la Banque du Liban (BDL) Crédit Photo: Libnanews.com, tous droits réservés
L’entrée principale de la Banque du Liban (BDL) Crédit Photo: Libnanews.com, tous droits réservés

Il n’est un secret pour personne que les choses se passent mal sur plusieurs plans et pour cause. La catastrophe économique libanaise a été sous-estimée et les chiffres sont beaucoup plus conséquents que ce qu’on nous communiquait. Les réserves nettes de la BDL en devises étrangères sont plus basses que ce que les estimations jusqu’à présent publiées. On aurait besoin non pas seulement de 20 milliards de dollars pour recapitaliser les banques ou de 25 milliards de dollars pour relancer l’économie libanaise mais également, d’ici 2023 et 2024, de 70 milliards de dollars pour recapitaliser la Banque du Liban, elle-même, dont les autorités sont à l’origine de 70% des facteurs ayant induit la crise économique. Ils ont en effet maintenu une parité entre livre libanaise et dollar, tout en maintenant des forts taux d’intérêt pour attirer de l’argent pour financer des déficits public qui ont eux même amené à une dépendance de l’état à la dette, principal facteur du défaut de paiement aujourd’hui. Depuis longtemps, on aurait dû sevrer l’état progressivement à cette dépendance mais tant que le dealer était présent, la tentation était trop forte.

Aujourd’hui face à la situation et aux déficits, seul un sevrage direct peut encore sauver le Pays des Cèdres.

Pour revenir au discours d’hier, il semblait être celui d’une personne qui voulait gagner du temps alors que le temps est justement un luxe qui nous fait défaut.

Comme les programmes de réformes et les choses nécessaires à accomplir, il n’est un secret pour personne que les négociations avec le FMI, la Banque Mondiale n’étaient pas concluantes pour les raisons déjà évoquées sur le secteur de production de l’électricité publique. Il n’y a plus aucun secret à dire aujourd’hui que les négociations menées par la Banque Lazard mandatée par la République Libanaise pour négocier avec les créanciers détenant les obligations internationales ne se sont pas bien déroulées, parce qu’il ce qu’il n’y avait pas de plan rendu public mais plus que le plan, l’application .

Cette question de l’annonce d’un plan n’est pas si anodine en raison des conséquences qu’elle aura. Si les autorités souhaitent réellement mettre de l’ordre, il s’agira avant tout de devoir mettre fin à certaines mauvaises pratiques menées par des personnes qui les amené au pouvoir. Il y a un système donc qui essaye de se protéger et qui pense que la communauté internationale finira par craquer comme elle l’a déjà fait à plusieurs reprises avec les promesses de Paris I, II et III. Mais cela est un mauvais calcul, les mêmes promesses ont été formulées lors de la conférence CEDRE et la communauté internationale a tenu bon.

Une raison dernière ce report est de mitiger les annonces sur ce qui faudra faire et de leurs impacts sur une population déjà très éprouvée par la crise économique et en raison des conséquences sociales et économiques déjà présentes suite aux manifestations qui ont débuté le 17 octobre 2019. Pour dire les choses plus clairement, la situation est déjà quasi-insurrectionnelle et l’establishment politique est remis en cause même dans ses fiefs, jusqu’à Nabatiyeh pour certains. Ainsi, ils ont probablement choisi de surseoir pensant que, peut-être, l’aggravation de la situation économique amènera d’une part la communauté internationale à lâcher du lest, mais aussi à ce que les libanais, eux-même finissent par abandonner leurs revendications liées au départ d’une classe politique et de cartels économiques, le Liban n’étant pas au final une économie libérale dans sa définition même.