Hindiyya, mystique et/ou criminelle?

Un livre que m’a offert Marie Josée à l’occasion de la fête de St François, le 4 octobre dernier, Hindiyya, Mystique et Criminelle 1720 – 1798 , je vous en avais déjà parlé par le passé dans un autre blog, il s’agit d’une femme à la réputation sulfureuse, accusée d’avoir transformé le couvent de Bkerké, pas encore siège patriarcal à l’époque, en bordel.

Le livre offre une perspective intéressante sur l’environnement socio-culturel et les évolutions que connaissait la société chrétienne alépine de l’époque, notamment avec l’arrivée des missionnaires « francs » et des changements au sein des églises orientales ainsi que l’établissement des églises latines directement liées à Rome. On apprend également que des évolutions concernant la place de la gente féminine avait également cours, avec d’un coté une vision d’une femme « libérée » avec l’évolution religieuse et l’éducation, libérée également de l’univers patriarcal avec l’établissement de couvents de femmes, choses qui auraient été rares à l’époque et des pratiques plus rigoureuses des églises orientales en réaction.
Hindiyya est issue d’une famille opportunément tombée riche, probablement en raison de sa parenté avec le patriarche maronite d’alors. Une chance par rapport aux autres familles maronites, plus modestes, venues comme elle d’un Mont Liban aux contours incertains et certainement pauvre par rapport à Alep, ville riche et cosmopolite, regroupant plusieurs communautés religieuses et en proie à l’agitation socio-religieuse d’alors.
Hindiyya, apprend-on dans l’ouvrage, n’échappe pas à cette évolution ou plutôt révolution, n’hésitant pas à mortifier son corps, renoncer aux propositions de mariage en dépit des nombreuses propositions de riches prétendants, ayant des visions d’un Christ lui proposant le mariage, bref, une voie originale vers l’indépendance pas vraiment féministe au regard des us et coutumes actuelles, la sainteté, selon ce livre.
Hindiyya était également une femme plus recluse que les autres rebelles de cette époque, elle ne recherchait pas le contact, bien au contraire, elle évitait les contacts avec les autres, elle ne fréquentait ainsi pas ou peu les autres communautés religieuses musulmanes ou juives.

Autre intérêt notable de l’ouvrage, cette fois-ci dans une perspective historique plus locale au Kesrouan ou l’on explique comment les maronites ont fini par remplacer les populations chiites ou druzes d’alors ainsi que l’émergence particulière de la famille Khazen et de certains de ses privilèges qui perdurent d’ailleurs jusqu’à aujourd’hui. Ce sont ces derniers d’ailleurs qui établiront – avec leur lien avec les jésuites- de nombreux couvents dont celui auquel Hindiyya se rattachera et qui rechercheront à faire déménager le siège patriarcal de la vallée sainte de Qannoubine à Bkerké. On apprendra également et finalement les clauses ayant amené à la création des fameux waqf, institution décrite de droit musulman et dont on fourni les conditions, ou encore on abordera la question de la mise en place d’une certaine infrastructure religieuse qui gouverne encore aujourd’hui la région du Kesrouan, et notamment de celle de l’Ordre des Moines Maronites ou encore des couvents doubles (c’est à dire mixtes, intersexes) créés et qui faisaient figures d’exception dans l’environnement chrétien et d’une particularité orientale par rapport à l’Occident.
À propos de couvent, on apprendra que le couvent St George situé à proximité était impliqué dans l’organisation du sacré cœur local.
Bref la première partie du livre semble être plutôt élogieuse et à décharge du personnage qu’à charge.

Cela change dans la 2ème partie ou les tensions entre maronites aleppins et locaux apparaissent dans de nombreuses congrégations dont celle de Hindiyya, tensions accompagnées par un bras de fer entre tenants d’un catholicisme oriental contre le catholicisme occidental véhiculé par les jésuites notamment installés à l’époque à Antoura, mon ancienne école, ce qui contribue encore plus à l’intérêt historique personnel.
C’est ce bras de fer entre orientales aleppines et filles de la montagne qui la perdra.
Poison et assassinats, scandales sexuels, grossesses, orgueil, et dérives sectaires de celle qui se prétendait épouse du Christ allant même jusqu’à siéger à ses côtés le jour du jugement dernier, une recette explosive qui figure ensuite, digne d’un scénario d’un film -encore faudrait-il trouver un bon réalisateur – polémique qui ne tarderait pas à être interdit au Liban par nos bon censeurs, cette histoire continuant à poser certaines questions d’ordre éthiques et morales au sein de la communauté maronite qui dans son ensemble semble souffrir d’une amnésie quant aux faits qui se sont déroulés au siège patriarcal actuel. À si seulement, ils en étaient bien informés … Mais tout cela, vous serez invitez à le découvrir par vous-même.

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