Le Liban entre féodalité et modernité

La dernière polémique entre « partenaires gouvernementaux » ouvre un débat intéressant, celui du fonctionnement même du Liban entre état féodal ou état au sens moderne de la chose.

En effet, la suspension d’un officier druze des forces de sécurité intérieure accusé de corruption mais – on doit tout de même le dire – considéré innocent jusqu’à ce qu’il soit jugé, a provoqué un vif débat entre le Premier Ministre Saad Hariri, l’ancien député et chef de la communauté druze Walid Joumblatt et le Ministre des Affaires Étrangères Gébran Bassil.

Ce dernier soulignait à juste titre qu’on ne doit pas protéger des personnes sur des bases d’appartenance communautaire et parce qu’ils sont hommes de liges d’une personne, ce à quoi l’ancien député druze répliquait qu’il fallait également cesser la corruption aux seins d’autres institutions. Il n’a pas tord sur ce sujet mais il n’a pas raison non plus sur le fond de l’affaire. Il devrait être le premier à montrer le bon exemple en ne protégeant quiconque des personnes impliquées dans quelques affaires pouvant porter atteinte à l’honneur même de sa communauté.

Il y a quelques années, dans le pays druze, dans une de ses localités ayant souffert de ce qui s’appelle aujourd’hui la Guerre de la Montagne, épisode sanglant de la Guerre Civile Libanaise et qui avait presque abouti à la partition de facto du Pays des Cèdres, un homme m’avait approché, une personne que je ne connaissais ni d’Adam ni d’Eve pour me parler de sa collection d’armes de guerre. 500 pièces dont une qu’il estimait provenir de la collection personnelle même de Saddam Hussein, un Kalachnikov plaqué or. Il en était fier. À la question de savoir s’il possédait le droit à posséder de telles armes, il prétendait que grâce à « Walid Bey » comme il désignait ainsi Walid Joumblatt, il en avait le droit.

Quid d’une autorisation des autorités ou de l’Armée Libanaise. Exit l’État de droit, place à un fonctionnement féodal ou le chef lieu local pouvait passer outre les réglementations de l’État, à savoir ici le fait que posséder une arme de guerre est normalement interdite aux civils. Que dire alors de tout un arsenal comprenant lances roquettes etc… qui avaient dû faire la guerre.

Il évoquait aussi les traditions du fier guerrier druze qui avait résisté dans les années 1920 aux troupes françaises du Général Henri Joseph Eugène Gouraud puis à celles du Général Maxime Weygand et encore à celles du général Maurice Sarrail alors que naissait à peine le Grand Liban.

On pensait depuis que ce débat entre Liban état moderne, et états féodaux résolus. Il semblerait que cette gangrène contamine aujourd’hui, le fonctionnement même des administrations publiques ou souvent les postes ont été attribués, non pas sur des bases de compétences, mais sur des bases d’appartenances communautaires et sectaires.

Que dire si ce n’est que l’État de Droit a été remplacé par un état de non-droit, ou des chefs locaux, des chefs communautaires, des chefs féodaux qui se placent au dessus des législations normalement applicables à tous. On peut ouvrir le débat sur plusieurs points. Est-ce en raison des accords de Taëf qui ont sanctuarisé ce type de fonctionnement anachronique? Dans ce cas-là, ne faudrait-il pas les amender d’une certaine manière pour l’éviter surtout qu’il ne s’agit en fin de compte pas de son seul dysfonctionnement? Doit-on encore rappeler les crises et la paralysie de l’État à chaque mésentente entre représentants communautaires? Est-ce un combat d’arrière garde pour bénéficier de quelconque privilèges?

Dans un pays comptant 18 communautés officielles où certaines estiment jouir de certains privilèges et d’autres non, il suffit donc de bénéficier de l’appui d’un chef local et de bénéficier de sa protection pour agir contre l’intérêt de l’État que cela soit pour des intérêts personnels ou pour constituer un état dans l’État. Cela ne concerne pas évidemment seulement la communauté druze qui est l’une des composantes essentielles de l’identité libanaise mais également d’autres communautés. Les exemples sont faciles à trouver.

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L'Emir Majid el Arslan prêtant allégeance du Drapeau du Liban lors de l'Indépendance du Pays des Cèdres
L’Emir Majid el Arslan prêtant allégeance du Drapeau du Liban lors de l’Indépendance du Pays des Cèdres

On est bien loin du temps ou un autre dirigeant druze également, l’Émir Majib al Arslan ployait son genou pour prêter allégeance au drapeau du Liban, pour ensuite porter haut ses couleurs.
Il fut, doit-on le rappeler, un grand serviteur de l’État à divers postes de responsabilités dans le moment crucial de la création d’un Liban auquel on aspire tous, celui d’un pays et non de 18 pays.
Il fut par conséquent, un des pères de la Nation Libanaise comme tant d’autres, Béchara el Khoury, Riad el Solh, Camille Chamoun, Pierre Gemayel, Adel Osseiran and Abdul Hamid Karamé pour ne citer qu’eux, qui ont su mettre de côté leurs différents politiques pour aller de l’avant.

Plus proches de nous, le serment de Gébran Tuéni nous avait tous rassemblé: « Nous faisons le serment, Chrétiens et Musulmans de demeurer unis éternellement, pour défendre notre majestueux Liban. » Parce qu’en dépit de tout ce que nous avons traversé ensemble, nous croyons toujours en ce Liban.

Aujourd’hui, nous sommes effectivement tous à bord du même bateau mais notre désunion peut nous faire chavirer, alors cessons de nous engager dans des polémiques futiles.

Peut-être que ces sacrifices devraient en inspirer beaucoup de personnes parce que la période qui s’annonce pourrait également être de grands défis pour ce Pays et nul doute qu’une telle polémique ne peut que desservir l’intérêt supérieur du Liban.