Une attitude libanaise conciliante avec l’Arabie Saoudite en raison des menaces de conflit

Un article du New Yorker Magazine rédigé par Dexter Filkins aborde la question du Moyen Orient sous l’angle particulier de la vision de la chose géopolitique du Prince Héritier Mohammed Ben Salmane (M.B.S) sur les différents dossiers qui ont fait la une de l’actualité dernièrement, à savoir le conflit avec le Yémen, la crise avec le Qatar, l’affaire des princes saoudiens emprisonnés au Ritz ou encore la détention du Premier Ministre Libanais Saad Hariri en novembre 2017.

Ainsi, peut-on lire dans cet article, la chose suivante:

Au moment même ou M.B.S. a convoqué Saad Hariri, le Premier ministre libanais, à Riyad, ce dernier se préparait à déjeuner avec Françoise Nyssen, le ministre français de la culture. Il n’était pas en mesure d’ignorer M.B.S.. Hariri était un citoyen saoudien, et sa compagnie de construction, Saudi Oger, profondément endettée, avait fait des millions de dollars de projets en cours pour l’Etat saoudien.
La relation de M.B.S. avec Hariri s’est détériorée en raison de la guerre par procuration en cours avec l’Iran. Depuis que les Saoudiens et les Emiratis sont intervenus au Yémen, près de trois ans plus tôt, les choses s’étaient mal passées. Les Houthis occupaient toujours la capitale, et des commandos d’élite iraniens et des activistes du Hezbollah entraînaient de nouveaux combattants rebelles. Plus inquiétant encore, les Iraniens avaient introduit des missiles balistiques, que les rebelles utilisaient pour bombarder l’Arabie Saoudite. Dans un effort pour arrêter la livraison de ces missiles, les Saoudiens et les Emiratis ont bloqué les ports yéménites, ce qui a intensifié la catastrophe humanitaire. Plus de dix mille personnes sont mortes et des centaines de milliers d’autres sont confrontés à la famine et aux épidémies de choléra.
Ajoutant à l’anxiété de M.B.S. était la position du Hezbollah à l’intérieur même du Liban. Depuis la fin de la guerre civile libanaise, en 1990, l’Arabie saoudite avait donné au pays des milliards de dollars pour l’aider à se reconstruire, pour ensuite voir le Hezbollah devenir le parti le plus fort et la force militaire dominante. Pendant plusieurs années, les gouvernements américain et saoudien se sont associés pour construire une armée libanaise en contrepoids au mouvement chiite. En 2016, un an après que M.B.S. ait été nommé ministre de la Défense, il a annulé trois milliards de dollars d’aide militaire, concluant que c’était un gaspillage d’argent. « Il avait l’impression que chaque dollar qu’il envoyait au Liban soutenait le Hezbollah », a déclaré l’ancien responsable américain qui le rencontre périodiquement.
Les Saoudiens espéraient que Hariri pourrait affronter le Hezbollah. Il était un sunnite et un homme politique expérimenté, qui avait servi comme Premier ministre de 2009 à 2011, quand il s’est enfui à Paris, en grande partie par peur que le Hezbollah se prépare à l’assassiner. (Ses craintes n’étaient pas infondées: en 2005, son père, Rafik, un autre Premier ministre soutenu par les Saoudiens, a été tué dans un attentat à la voiture piégée, pour lequel un tribunal de l’ONU a inculpé quatre membres du Hezbollah).
Suite à l’impasse politique durant dans laquelle le pays a fonctionné sans chef d’état, il est revenu.
Mais Hariri était incapable de contrecarrer le Hezbollah, même après que M.B.S. l’ait poussé à prendre un positionnement plus dure. Le point de rupture est arrivé début novembre. Alors que les rebelles continuaient de tirer des missiles de l’autre côté de la frontière, Ali Velayati, un haut dirigeant iranien, s’est envolé pour le Liban et a rencontré Hariri. Selon l’ancien responsable américain, Velayati a déclaré que l’Iran avait l’intention de continuer à s’affirmer dans la région. Par la suite, Hariri a posé, souriant, pour une photo avec lui. Quand cette image a été vue par M.B.S., il était enragé. « Il se sentait comme s’il devait faire quelque chose », a déclaré le responsable.
Quand Hariri a été convoqué pour rencontrer M.B.S., il s’attendait à un accueil chaleureux de la famille royale. « Saad pensait que tous ses problèmes avec M.B.S. serait résolu », m’a révélé un assistant de Hariri. Au lieu de cela, à Riyad, il a été confronté à la police, qui l’a placé en détention. Selon deux anciens responsables américains actifs dans la région, il a été détenu pendant onze heures. « Les Saoudiens l’ont mis sur une chaise, et ils l’ont giflé à plusieurs reprises », m’a dit l’un des fonctionnaires.
(A la fin, dans une vidéo surréaliste diffusée à la télévision saoudienne, Hariri, l’air épuisé et dessiné, a lu un discours de démission, affirmant qu’il avait fui le Liban pour échapper à un complot iranien visant à le tuer. Hariri, qui est généralement à voix basse, a déclaré que « les mains de l’Iran dans la région seront coupées » – une déclaration qui a convaincu de nombreux Libanais que le discours avait été écrit par quelqu’un d’autre.
On ne sait pas qui deviendra le nouveau Premier ministre libanais; Selon des responsables libanais et occidentaux, j’ai parlé à M.B.S. Il a essayé d’enrôler le frère de Hariri, Bahaa, qui passe une grande partie de son temps à Monaco, pour reprendre la tête du Conseil des Ministre. Un haut fonctionnaire américain au Moyen-Orient m’a dit que l’intrigue était « la chose la plus stupide que j’ai jamais vue. » Mais il y avait des indications que M.B.S. avait coordonné ses démarches avec l’administration Trump, peut-être au sommet de Riyad. Un ancien haut responsable du renseignement proche de la Maison Blanche m’a dit que M.B.S. avait reçu un « feu vert » pour enlever Hariri. (Un haut fonctionnaire de l’administration a nié cela.) « C’est perturbant », m’a dit le responsable du renseignement. « Le statu quo au Moyen-Orient ne fonctionne pas. Ils veulent le casser. « 
Les responsables occidentaux, pris au dépourvu par la détention de Hariri, se sont rassemblés pour le sauver. Tillerson a publié une déclaration disant que « les Etats-Unis soutiennent la stabilité du Liban et s’opposent à toute action qui pourrait menacer cette stabilité ». Emmanuel Macron, le président français, a rendu visite à M.B.S. et l’a pressé de libérer Hariri.
Selon un diplomate occidental connaissant le contenu de la conversation, M.B.S. a ouvertement  menacer de couper les liens commerciaux avec la France à moins que Macron cesse de faire des affaires avec l’Iran. Macron répondit  qu’un pays comme la France était libre de commercer avec qui il voulait. « Macron a très bien géré les choses, et M.B.S. reculé », m’a dit le diplomate.
En fin de compte, le plan s’est effondré lorsque la plupart des institutions politiques libanaises ont protesté contre la captivité de Hariri. Deux semaines après son arrivée, Hariri prenait l’avion pour aller d’abord rencontrer des responsables à Paris et au Caire, puis à Beyrouth, où il se réjouissait. « Tout le pays est unifié autour de lui », m’a dit un haut responsable du Hezbollah.
Plusieurs jours après son retour, je suis allé voir Hariri à Beyrouth. Il vit dans le quartier de Beit al-Wasat, à l’intérieur d’un complexe haut de murs de villas magnifiquement restaurées avec vue sur la Méditerranée; à quelques portes se trouve la synagogue Maghen Abraham, détruite pendant la guerre civile et reconstruite avec l’aide de la famille de Hariri. Malgré le cadre grandiose, il semblait moins un héros de retour qu’un ancien prisonnier épuisé. « Je ne veux pas parler de ce qui vient de se passer », a-t-il dit, affalé derrière son bureau. « M.B.S. avait raison, O.K.? Ce qu’il essaie de faire est juste. « 

Ainsi cet article confirme ce qu’on savait déjà, c’est-à-dire que le Royaume Saoudien souhaiter inciter à un conflit d’ordre sectaire et confessionnel entre chiites et sunnites pour contrecarrer l’influence iranienne au Liban. Il ne s’agit pas d’une nouveauté en soit, puisqu’une telle politique a déjà été menée en 2007 et à provoquer les fameux incidents du 7 mai.

Le Roi Salmane, qu’on prétend être gâteux aurait également eu un de ses rares moments de lucidité pour recadrer son fils, Mohammed Ben Salmane, héritier de la Couronne, après ses propos contredisant le droit au retour des réfugiés palestiniens selon Georges Malbrunot.

Le même article du New Yorker Magazine, aborde également la question du status final de Jérusalem, cette fois-ci avec un angle géopolitique et l’encadrant dans l’explication d’une convergence d’intérêt entre Israël et l’Arabie Saoudite.

« Peu après le départ de Kushner, M.B.S. s’est entretenu avec Mahmoud Abbas, le chef de l’Autorité palestinienne, pour discuter des perspectives de paix au Moyen-Orient. Selon un ancien responsable de l’administration Obama, les Saoudiens ont présenté un plan radicalement favorable à Israël. Il reconnaîtrait les revendications d’Israël à Jérusalem et ratifierait presque toutes ses colonies en Cisjordanie, n’offrant aux Palestiniens qu’une autonomie limitée dans les zones sous leur contrôle. Un haut responsable palestinien m’a affirmé que les dirigeants arabes avaient exercé d’intenses pressions sur Abbas, apparemment en coopération avec l’administration Trump: « L’idée est de régler le problème de Jérusalem, afin que la Maison Blanche puisse construire un front uni contre l’Iran ». Il a dit: « Si Jérusalem est sur la table, nous ne le ferons jamais. »

La politique saoudienne actuelle converge donc avec certains intérêts israéliens notamment sur la question du conflit entre sunnites et chiites et la majorité des événements actuels au Moyen-Orient est à analyser sous cet angle avec en toile de fond, les erreurs d’appréciation commises tant par les responsables saoudiens, à savoir, en premier lieu Mohammed Ben Salmane que les responsables américains, dont le beau fils de Donald Trump aujourd’hui remplacé par les faucons Pompeï et Bolton.

Un des plans évoqués était que l’état hébreu puisse mener une guerre contre le Hezbollah, le régime syrien et l’Iran mais aurait besoin d’un côté de l’appuie américain contre l’Iran et d’autre par d’un certain calme interne notamment en Palestine d’où découle le rôle saoudien.

Peut-être qu’aujourd’hui, l’attitude des responsables libanais, devenu assez conciliants avec le Royaume Saoudien en dépit des évènements de novembre 2017, vise à éviter que ce conflit qui semble être inéluctable puisse déborder sur le Pays des Cèdres alors que se multiplient les menaces israéliennes contre le Liban. On se rappellera des propos menaçant du ministre de la défense Avigdor Lieberman concernant l’exploitation gazière et pétrolière du Bloc 9 par un consortium franco-russo-italien et qui se situe dans les zones économiques maritimes libanaises ou encore de ceux des porte-parole de l’armée israélienne, menaçant non seulement le Hezbollah mais également les institutions politiques et sécuritaires libanais dont l’Armée Libanaise. C’est également dans ce genre de contexte que l’empressement de la communauté internationale et notamment européenne à aider le Liban par rapport à des conférences économiques pourrait se comprendre avec une sorte de soutien indirect de celle-ci pour sanctuariser le Pays des Cèdres et donc éviter le déferlement d’un bon nombre de réfugiés syriens vers l’Europe.

Des experts prédisent que ce conflit pourrait avoir lieu après les élections législatives du 6 mais prochain.

Aussi, il est intéressant de voir le Patriarche Maronite aller en Arabie Saoudite, le Président de la République Michel Aoun être convié par une lettre même du Roi Salmane à un conflit des pays des la Ligue Arabe, voir même une des avenues principales du Centre-Villes de Beyrouth porter le nom du souverain saoudien actuel depuis le 3 avril 2018… comme si une politique de petits gestes pourraient influencer le prince héritier et l’inciter à une attitude plus clémente vis-à-vis du Liban, afin de l’épargner d’une nouvelle guerre sur son sol.

Mais ce paris risque de n’être qu’un voeux bien pieux…